PAUL G. MAGLOIRE – PROSPECTIVES
Construisons Ensemble un État DÉmocratique, Moderne et ProspÈre
1-HAITI ET LA CRISE FINANCIERE MONDIALE
Les grandes crises financières dans le monde ont toujours créé de grandes souffrances pour les peuples et de grands bouleversements dans le monde. Ainsi, jeune étudiant à l’Ecole Normale Supérieure de l’Université d’Etat d’Haiti, au début des années 1970, je me suis préoccupé tout particulièrement à étudier, avec quelques camarades, la grande crise économique des années 1930 qui avait débuté avec la chute de la bourse américaine à Wall Street, en octobre 1929, et s’était répandue comme une trainée de poudre, causant misère, guerres et des changements profonds dans l’ordre du monde, le système financier mondial, et créant des structures qui durent encore aujourd’hui, comme les institutions de Bretton Woods, tel que le Fonds Monétaire International, et la Banque Mondiale. Une fois encore, le monde est entré dans une grande crise financière qui pourrait créer une dépression économique mondiale. Et cela, si c’était le cas, apporterait des changements profonds qui marqueront le système financier mondial, probablement, pour les décennies à venir.
De façon simplifiée, la Grande Dépression des années 30 a débuté avec le mardi noir du 29 octobre 1929, avec la chute totale des valeurs boursières. L’indice industriel, ce jour-là avait baissé de 23% dès la matinée jusqu’au point où personne ne voulait acheter à aucun prix. Compte tenu que le gouvernement du président républicain, Edgar Hoover, ne voulait pas intervenir sur le marché de la bourse pour redresser la situation, la chute de Wall Street allait entrainer l’économie en général. Ainsi, à la fin de 1932, plus de 20% de la population était au chômage et la production avait baissé de 30%. Un peu partout aux Etats-Unis les familles sans emplois construisaient des maisons de fortune aux alentours des villes et ces bidonvilles étaient appelés, par dérision, Hoover-ville.
En 1932, Franklin D. Roosevelt (FDR) remporta une écrasante victoire aux élections. Il prêta serment le 4 mars 1933 en disant au peuple américain la seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même.
Mais, en 1933, le chômage avait déjà atteint prés de 23% de la population et la situation s’empirait à tous les niveaux. FDR prit toute une série de mesures pour faire face à ces problèmes, dans ce qu’il appela le nouveau contrat avec le peuple américain ou le New Deal.
L’Etat établira une assurance sur les dépôts des petits épargnants à la banque pour leur montrer que leur argent ne sera pas perdu comme c’était le cas, quand près de la moitié des 25,000 banques du pays avait fait faillite à la faveur de la crise.
Le gouvernement de FDR lança, des les premiers 100 jours, dans le cadre du New Deal, de vastes programmes pour construire des millions de kilomètres de routes, bâtir des milliers de bâtiment public et créer de grands barrages hydroélectriques afin d’irriguer les terres du sud du pays et créer du travail dans le secteur agricole, pour les chômeurs des villes. Dans le cadre du Corps Civil pour la Conservation du Sol, le gouvernement enverra des milliers de jeunes planté des arbres dans les forêts pour protéger le sol contre l’érosion. Il créa, aussi, un programme d’assistance à ceux qui n’avaient pas de quoi se nourrir et se vêtir. Ce programme sera connu plus tard sous le nom de Welfare. C’est dans le cadre du New Deal également que FDR créa le système de la Sécurité Sociale ou la pension pour les personnes âgées.
Le New Deal impliquait, au grand mécontentement des conservateurs au Congrès Américain, l’intervention de l’État dans tous les domaines. Finalement, ces activités seront réunies en 1935 sous le parapluie de l’Agence de Travail pour le Progrès, en anglais, the Works Progress Administration (WPA), et permirent au gouvernement de FDR de créer directement prés de 9 millions d’emplois. Le New Deal couvrait aussi la création de parcs publics, des activités sportives pour les enfants et les jeunes, et le support aux activités culturelles et artistiques.
L’économiste Kenneth Galbraith qui a étudié la Grande Dépression Economique croit que les trois principales causes de cette crise ont été l’inégalité sociale, la spéculation des agents boursiers de Wall Street, et le déclin de la confiance dans le marché libre de tout contrôle prôné par le gouvernement républicain de Hoover. Ainsi, les mesures adoptées par le président démocrate, Franklin D. Roosevelt, dans le cadre du New Deal, avaient permis de redonner un nouveau souffle au système capitaliste américain qui avait fait face à son plus grand défi. Mais, d’autres économistes, comme le prix Nobel, Milton Friedman, considèrera que le manque de liquidité dans le système financier, dû à la rigueur de la Banque Centrale Américaine dans le contrôle du crédit, l’application de hauts tarifs douaniers par les pays industrialisés et la montée du protectionnisme dans le système d’échange international, avaient joué un rôle très important dans cette crise.
Les leçons apprises durant cette crise et celles subséquentes expliquent pourquoi, aujourd’hui, les gouvernements des plus grandes économies du monde ont lancé un effort coordonné pour intervenir sur le marché et éviter de créer un environnement favorable à une autre grande dépression économique mondiale. Mais, on est loin d’avoir écarté le danger. Car, les facteurs qui ont créé la crise financière, comme les hypothèques subprimes, sont loin d’être résolus. La crise financière, en entrainant une diminution des crédits à la production et à la consommation, a déjà créé un ralentissement des activités à tous les niveaux de l’économie mondiale, et probablement la récession sera très longue.
En mai 2008, dans un article publié sur le Net, sous le titre « Avant qu’il ne soit trop tard », je prévoyais que notre pays allait connaître des difficultés financières, du fait de la réduction des transferts d’argent venant de la diaspora. Cette prévision avait pour base, la crise dans le secteur immobilier créée par les hypothèques subprimes, la montée du prix des produits pétroliers et des biens alimentaires, et la menace de récession qui planait sur l’économie américaine. Une récession américaine (là où se trouve la grande majorité des Haitiens qui envoient de l’argent au pays pour supporter leurs parents et amis), entrainerait une réduction de l’emploi dans les communautés haïtiennes dans ce pays et ainsi moins de disponibilité en argent pour effectuer des transferts, même quand l’attachement de ces communautés à leur pays d’origine resterait extrêmement fort. Maintenant, avec la chute des prix des produits pétroliers, les rentrées de l’État sur ces produits vont diminuer considérablement et accentuer les difficultés budgétaires en 2009-2010.
L’économie américaine est rentrée en récession, officiellement, depuis décembre 2007 et de l’avis de nombreux économistes, conservateurs et progressistes, cette crise pourrait durer jusqu'à 2010. D’une simple crise financière née d’une contraction du système de crédit dû aux défauts en série des hypothèques subprimes, le manque de liquidités dans les banques allait réduire le crédit pour les entreprises les plus faibles et augmenter le chômage ; et ainsi de suite, ceux qui perdent leur travail ont des retards de paiement de leur hypothèque, et la crise s’empire. Dans le cours de l’année 2008, grâce à la mondialisation, la crise, d’abord américaine, entraina une récession globale.
Le signe qui donna le signal de la débâcle aux Etats-Unis a été la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, une banque centenaire. Ensuite, ce fut le tour de l’American International Group (AIG), une grosse compagnie d’assurance américaine avec des bureaux d’affaires dans tous les grands pays du monde et ayant un actif de près d’un trillion de dollars. Il était clair que le système financier mondial était face à un problème qui dépassait en chiffres l’échelle de tout ce que le monde ait vu depuis 1929. Cette crise qui fait l’objet de mes commentaires, aujourd’hui, certainement, va avoir un impact sur notre pays.
Actuellement, il est officiel que l’économie américaine est en régression depuis décembre 2007 et près de 2 millions d’emplois ont déjà été perdus pour l’année 2008. Les économistes prévoient, également, que la situation va continuer à se détériorer avant de s’améliorer et durant les deux prochaines années plusieurs millions d’employés pourraient rentrer en chômage. Un État central dans cette crise financière, celui de New York, à lui seul, pourrait perdre plus d’un million d’emplois.
New York est aussi l’État des États-Unis où se trouve la majorité des Haitiens, mais ce sont ceux de Floride qui envoient près de 45% de l’argent qui va en Haiti.
Cependant, très peu d’États seront épargnés par cette crise. Surtout la Floride qui avec l’État de Californie est frappé très durement par la crise immobilière, conséquemment à la crise financière des hypothèques subprimes. Les banques ont dû saisir plusieurs dizaines de milliers de maisons sur lesquelles les hypothèques étaient impayées et le secteur de la construction est presque bloqué.
C’est vrai que Haiti est un pays à faible revenu et en ce sens est très peu intégré au système financier international. Nos banques commerciales n’investissent pas dans les bons à termes à haut-rendement qui sont adossés sur les subprimes à hauts risques. Un pays à revenu moyen comme la République Dominicaine, notre voisin, peut craindre pour la réduction de croissance dans son secteur touristique, pour une baisse de ses exportations et d’une baisse de demande de ses matières premières, et de la réduction des investissements étrangers et d’apports de capitaux extérieurs dans ces secteurs les plus prometteurs. Il semblerait que dans notre pays, nous n’avons rien à craindre. Car, nous sommes protégés par notre grande pauvreté ! Donc, le gouvernement n’a pas à se préoccuper de la crise internationale.
Mais, est-ce que nous ne devons pas nous poser la question que nous dicte le gros bon sens, à savoir, comment Haiti pourrait être épargné de ressentir les effets de la crise financière mondiale quand les transferts de la diaspora en cash et en nature représente plus ou moins 1.8 milliard de dollar, soit l’équivalent de 30% de notre produit intérieur brut ? Comment pouvons-nous continuer à ignorer l’effort que les membres de la diaspora sont en train de faire et les grands sacrifices qu’ils s’imposent pour envoyer leurs supports au pays? Il faut comprendre que l’impact de la crise sur la communauté est graduel. Mais, cette diminution des transferts va venir et quand elle viendra, cela va faire très mal, si des mesures anticipées ne sont pas adoptées avant qu’il ne soit trop tard.
Ensuite le budget de la République est financé par la communauté internationale, à titre de dons ou d’emprunts, à prés de 50%, et conséquemment à cette crise, l’économie de ces pays est en récession et ainsi il pourrait y avoir des changements de priorités dans les pays donateurs.
Le programme économique du nouveau Président Américain, Barack Obama, devrait être également une source de préoccupation et probablement d’opportunité. Le fait que Barack Obama a décidé de placer le biodiesel, le solaire et l’éolienne au centre de sa politique d’énergie et de relance de l’économie, cela devrait aider à l’amélioration de la technologie dans ces secteurs et encourager l’investissement dans le domaine de l’énergie et de l’environnement dans notre pays qui a presque perdu la totalité de sa couverture forestière.
Dès maintenant, Haiti devrait se préparer à discuter avec le nouveau gouvernement de Barack Obama, à son arrivée au pouvoir, comme sont en train de le faire les autres pays de la Caraïbe. Ces pays attendent, en effet, que le President Obama honore sa promesse électorale d’éliminer la dette des pays de la région. Un élément de ce dossier serait de prévoir dans l’accord que les fonds économisés dans l’effacement de dettes soient consacrés à réhabiliter l’environnement du pays. Ce genre de programme est central dans la politique verte que le nouveau Président américain compte inaugurer dans le cadre de la relance de l’économie américaine, actuellement, en récession.
Dans les prochains articles, l’accent sera mis sur les raisons et la dimension de la crise financière mondiale d’aujourd’hui et la possibilité qui existe, malgré tout, de créer des emplois pour les centaines de milliers de jeunes qui sont sans travail dans le pays.
Merci,
19 Décembre 2008
Paul G. Magloire